L'absurde hongkongais
En marge de ses films d’arts martiaux, le cinéma hongkongais s’est aussi singularisé par ses comédies, où l’absurde est souvent roi : entre comique de répétition et gags corporels, les éléments improbables se conjuguent pour offrir les scènes les plus mémorables. Vitrine de la culture cantonaise autant qu’échappatoire pour le public local, les comédies hongkongaises possèdent par leur caractère protéiforme et dynamique quelque chose d’assurément unique.
The Private Eyes (Michael Hui, 1976)
All’s Well, Ends Well (Clifton Ko, 1992)
From Beijing with Love
(Stephen Chow, Lee Lik-ch, 1994)
Kung Fu Hustle (Stephen Chow, 2004)
Une sélection détonante, programmée par Loïc Valceschini, qui introduira au public chaque projection :
Programmateur à la Cinémathèque suisse depuis 2022, Loïc Valceschini a auparavant officié comme programmateur pour le NIFFF (2013-2021), membre du comité de sélection du VIFFF (2015-2019) et coordinateur de la Semaine de la critique de Locarno (2015-2020). Il a également écrit pour de nombreux médias et il est l’auteur d’un mémoire de Master consacré au cinéma hongkongais.
L’ABSURDE HONGKONGAIS
Principalement célébré pour ses films d’arts martiaux et d’action, le cinéma hongkongais s’est aussi singularisé par un autre pan de son industrie : les comédies. Peut-être moins connus en dehors de l’archipel en raison de la barrière culturelle et linguistique qu’ils peuvent parfois occasionner – à l’exception des kung fu comedies, popularisées par des acteurs tels que Jackie Chan et Sammo Hung –, les films humoristiques n’ont pourtant cessé de faire battre le pouls de la production hongkongaise.
L’essor du genre dans les années 1970 coïncide avec la résurgence d’un cinéma parlé en cantonais, en opposition à la dominance jusqu’alors du mandarin, monopolisé par certaines grosses boîtes de productions à l’instar de la Shaw Brothers. Ce retour au vernaculaire s’explique par plusieurs facteurs, notamment par le développement de la télévision, mais aussi par le succès en 1973 de The House of 72 Tenants, comédie sociale en cantonais de Chor Yuen. C’est dans ce sillage que s’inscrivent l’humoriste Michael Hui et ses frères Ricky et Sam (The Private Eyes). En déplaçant la popularité de leurs émissions du petit au grand écran, ils réalisent dès 1974 une série de films qui feront date dans l’histoire du cinéma local. Michael Hui devient le grand premier auteur à comédies de Hong Kong, grâce à des satires qui dépeignent la réalité d’une Hong Kong en pleine urbanisation et croissance économique, tout en visibilisant Monsieur et Madame Tout-le-monde.
A l’image de la production locale, les comédies connaissent un boom dans le courant des années 1970 et ce jusqu’à la fin des 1990, période de chamboulement pour Hong Kong, avec 1997 comme date fatidique, puisqu’elle marque la Rétrocession de l’archipel à la République populaire de Chine. Jusque-là, les comédies jouissent d’un succès tonitruant, propulsée lors de chaque Nouvel An lunaire, période faste pour ces films fédérateurs qui offrent une échappatoire à la population et à leur anxiété politique. Ces films sont souvent le terrain de jeux des superstars locales, qui s’en servent de prétextes à leurs innombrables facéties, à l’image des pitreries de Sandra Ng (All’s Well, Ends Well).
Définir l’humour hongkongais est une tâche impossible, tant celui-ci s’avère protéiforme et hybride, à l’image des autres genres populaires de l’archipel. On peut toutefois y constater, au-delà d’une affection pour le comique de répétition, une certaine naïveté burlesque qui, par ses situations et gags très corporels, n’est pas sans rappeler le cinéma muet et ses grands comiques, de Charlie Chaplin à Buster Keaton, parfois cités de manière frontale. Mais l’humour hongkongais, c’est aussi et surtout une affection particulière pour le nonsensique ; des éléments saugrenus se conjuguent à des anachronismes improbables tout autant qu’à des calembours appuyés – certes moins évidents pour les non-cantophones.
Ce goût de l’absurde, dénommé mo lei tau (無厘頭, « sans queue ni tête ») est en premier lieu incarné par Stephen Chow (From Beijing With Love, Kung Fu Hustle) : même s’il peut donner la migraine aux plus Cartésiens d’entre nous, ce roi de la comédie orchestre la parodie de manière à redonner à la bêtise toute sa noblesse, tout en taclant régulièrement des problématiques d’ordre sociétal et en s’intéressant au sort des petites gens. Difficile, donc, de concevoir un focus sur les comédies hongkongaises sans offrir à ce Charlot cantonais des temps modernes une place de choix.
Loïc Valceschini